Grèce : pourquoi l’arrestation des chefs d’Aube dorée n’est que le début de la lutte antifasciste

Peu de démocrates ont caché leur joie samedi 28 septembre 2013 quand ils ont appris l’information de l’arrestation de cinq députés du parti néonazi, parmi lesquels son secrétaire général Michaloliakos et son porte parole Kassidiaris.

Leur élection en juin 2012 avait constitué un choc. Depuis on endurait avec dégoût leurs interventions dans l’enceinte du Parlement et dans des médias complaisants. Leurs propos à chaque fois plus nauséabonds faisaient l’agenda. Le bagout de l’Aube dorée était devenu une mode. Leurs attaques quotidiennes contre les immigrés, les homosexuels et les militants de gauche c’était la routine. Pour beaucoup des Grecs, qui connaissaient depuis longtemps le caractère criminel et mafieux de cette organisation, l’attitude des néonazis n’était pas une surprise.

Ce qui l’était en revanche c’est le degré de tolérance très élevé que la société grecque pouvait montrer au regard de telles abominations. Ce qui était une surprise aussi pour certains, moins pour d’autres, c’était le degré d’impunité dont jouit cette organisation en Grèce auprès du système politique et de l’appareil judiciaire et policière.

Pendant des années la police a tout simplement ignoré des centaines de plaintes provenant d’ONG, de partis politiques et d’individus dénonçant les méthodes des néonazis. La justice a quant à elle innocenté Kassidiaris, jugé en mars dernier pour complicité à une attaque à main armée survenue en 2007 contre un militant de gauche. Et ceci alors que les témoignages à sa charge étaient concordants. Le procureur a même déclaré lors du procès, dans une salle pleine à craquer de têtes rasées, que M. Kassidiaris était le représentant d’une organisation qui récusait la violence…

Pendant ce temps-là, les acolytes du Premier ministre Samaras et l’aile dure de la droite au gouvernement n’a cessé de faire des appels de pied à l’Aube dorée et à ses électeurs. Des médias influents, comme le premier quotidien du pays Proto Thema, la chaîne de télévision Skai, tout à fait mainstream avec un profil plutôt sérieux, et d’innombrables sites d’ « information » ont entrepris à banaliser l’image d’Aube dorée. Proto Thema est même allé jusqu’à fabriquer des reportages qui démontraient le rôle « positif » des néonazis pour les Grecs de souche, dans des quartiers « noyés » par les immigrés.

C’était la période ou beaucoup de Grecs ont découvert avec effarement que l’épuration des éléments fascisants de la société grecque entrepris à la fin de la dictature des Colonels en 1974 était une fable. Que la politique, la justice, l’armée, la police et les médias étaient parsemés des supporteurs de la « manière forte », attendant de prendre leur revanche. Derrière la façade respectable de la petite bourgeoisie imaginée, le microastos comme on dit là-bas, se cachait une horreur insoupçonnable, qui désormais s’étalait au grand jour.

Puis l’assassinat de Pavlos est arrivé. Et tout d’un coup le gouvernement, sourd aux appels jusqu’à là a décidé de réagir. La police est intervenue. Les arrestations se sont succédées. Les libérations aussi, puisque Kassidiaris, encore lui, et deux autres députés arrêtés ont été libérés sous condition avant hier. Ça a été la douche froide à regarder les trio sortir du tribunal en vociférant contre les journalistes sous les applaudissements de leurs supporteurs. Un changement d’humeur radical, comme souvent en Grèce d’ailleurs.

Qu’a-t-on appris à travers les fuites continues de la procédure ?

A la fois peu et beaucoup de choses. Nous avons appris que l’Aube dorée a mis en place de bataillons d’assaut, d’organisations paramilitaires à l’image des Sturmabteilung de Hitler. Que ces derniers effectuent des entrainements armés dans des coins isolés du pays. Qu’ils procèdent à des agressions systématiques envers des étrangers mais qui, en même temps, extorquent des fonds auprès de vendeurs ambulants Pakistanais en échange de leur « protection ». Que l’un des députés arrêtés, Lagos, est impliqué dans le trafic d’êtres humains et la prostitution. Que le même s’efforçait de mettre en place une organisation syndicale fasciste dans le port du Pirée pour casser le syndicat communiste très ancré, téléguidé par des armateurs et des hommes d’affaires qui allaient en tirer bénéfice. Que de dizaines de policiers arrêtés sont à la solde d’Aube dorée et préviennent ses membres en cas de faux pas. Et enfin, que les services secrets avaient produit une note confidentielle depuis le printemps 2012 avec toutes ces informations, que le pouvoir a choisi d’ignorer.

Tout ça n’est en rien nouveau pour celui qui est ne serait-ce qu’un peu attentif à la situation politique de ce pays. Ce sont des informations en partie écrites noire sur blanc dans les diverses questions posées au gouvernement par l’opposition depuis un an. Mais ces “révélations” ont été suffisantes pour que le système politique et médiatique puisse justifier son volte-face. Passer de l’indulgence bienveillante, voire la complicité, à la condamnation outrée leur a demandé un certain effort.

Alors qu’est ce qui se passe maintenant ? Est-ce que la Grèce s’est débarrassée de son cauchemar fasciste comme le prétendent les éditoriaux des journaux de référence en Europe ?

Absolument pas et il y a plusieurs raisons à cela. D’abord le gouvernement n’a pas changé de tactique, insistant sur la théorie des deux extrêmes visant à mettre au même niveau l’opposition de Syriza et les néonazis. Aussi incroyable que ça puisse paraître dans une telle situation, le porte parole du gouvernement Simos Kedikoglou a déclaré aujourd’hui que Syriza « était le meilleur allié d’Aube dorée » (!). Ensuite parce que le manque de crédibilité du système politique auprès des citoyens et l’aversion de ces derniers pour les partis traditionnels peut générer aussi de la sympathie pour les néonazis qui « se battent contre le système ». Ceci d’autant plus que, apparemment, la procédure n’est pas « blindée ». Le fait que trois députés parmi les plus notoires ont été libérés montre que les preuves collectées ne sont pas irréfutables, ou en tout cas que ces personnages bénéficient encore des certaines sympathies dans le système judiciaire. Un échec de la procédure qui verrait l’ensemble des prévenus bénéficier d’un non lieu par exemple serait une catastrophe inimaginable mais envisageable.

Enfin, la principale raison pour laquelle la lutte antifasciste ne fait que commencer en Grèce est la continuation de la politique d’austérité radicale qui mène le pays dans l’impasse. Entre 2009 et 2016 le budget de l’éducation nationale sera amputé de moitié. Et ce n’est qu’un exemple. Dans des telles conditions le fascisme dans la société grecque et au cœur de l’Europe n’est pas prêt à disparaître.

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