Grèce : la censure de Tsipras annonce le début de la fin du régime de la Troïka

athens-graffiti_super-democracy-as-seen-on-tvSamedi 13 septembre Alexis Tsipras, le chef de l’opposition, a prononcé un discours important à la Foire Internationale de Thessalonique. Il y a présenté les grandes lignes du programme économique qu’il promet de mettre en œuvre lors de l’arrivée au pouvoir – de plus en plus probable – de Syriza. La censure brutale de ce discours imposé à la télévision publique par le gouvernement montre la panique dans lequelle celui-ci se trouve et annonce le début de sa fin.

La radiotélévision publique dans la tourmente
Le 11 juin 2013 le gouvernement grec décidait brusquement de fermer la radiotélévision publique ERT et toutes ses composantes annexes (orchestres, services techniques, administratifs etc.), licenciant au passage 2 656 employés dont plusieurs centaines de journalistes.

A l’époque le gouvernement avait avancé une série de raisons pour justifier sa décision, relayée parfois par des “experts” français : ERT serait un nid de corruption et une source de déficits chroniques ; ses programmes obtiendraient de taux d’audience trop bas et leur qualité laisserait à désirer ; ses cadres seraient inféodés au pouvoir politique et enclins à céder à ses injonctions.

Pour toutes ces raisons il fallait donc recommencer à zéro en mettant en place une radiotélévision publique de qualité, efficace, économe, indépendante et objective. Plus d’un an après NERIT, le nouvel organisme censé regrouper les médias publics, est moribond. Sans personnel, ni moyens il s’enfonce dans des scandales à répétition.

Aujourd’hui les quelques centaines de salariés qui travaillent pour l’unique chaine du groupe (au lieu de trois du temps de ERT), sont employés à durée déterminée par le Ministère de l’économie. Ce dernier confisque la moitié de la redevance annuelle destinée à financer les médias publics sans rendre compte de son utilisation.

La procédure de recrutement du personnel permanent a fait l’objet de nombreux recours car elle a été conçue pour avantager les amis de deux partis au gouvernement, la Nouvelle démocratie et le Pasok. A l’heure actuelle un juge investigue les conditions du recrutement en cours de 137 journalistes. Il soupçonne des délits de favoritisme.

Le processus de nomination de la direction de NERIT a été aussi manipulé pour faciliter le contrôle par l’exécutif, au point que l’Union européenne de radiotélévision (EBU) s’en est offusquée. Dans une lettre adressée au gouvernement, l’instance européenne dénonce la procédure choisie qui ne garantit pas l’indépendance de la direction puisque celle-ci sera désormais nommée sur décision du ministre de la communication.

La production de programmes et quasi-inexistante et le temps d’antenne rempli d’événements sportifs en rediffusion. Les émissions de plateau et les journaux télévisés sont réservés aux amis de MM. Samaras et Venizélos. Les stations radio en province, les services techniques qui géraient le réseau d’émetteurs, les très nombreux locaux sont soit fermés, soit privatisés (à l’exception de bureaux occupés par les salariés licenciés de ERT comme à Thessalonique et Heraklion).

Vendredi 12 septembre le président du conseil de surveillance et le directeur général de NERIT, le journaliste expérimenté Rodolfos Moronis, ont tous les deux démissionné. La raison est que l’exécutif a empêché la chaine publique de diffuser un discours du leader de l’opposition Alexis Tsipras depuis Thessalonique.

Les grands médias privés au service de la Troïka
Privés de radiotélévision publique les Grecs ne peuvent pas davantage se tourner vers les médias privés pour s’informer correctement. Ces derniers, exsangues ne survivent que grâce au financement assuré par les banques, qui à leur tour sont renflouées par les caisses publiques.

A titre d’exemple, le groupe Pegasus, propriétaire du quotidien Proto Thema et de la chaine Mega les plus populaires dans le pays, est endetté à hauteur de 150 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 32 millions. Ses pertes pour 2013 s’élèvent à 10 millions. La dette de Kathimerini, le quotidien de référence de l’establishment, est de 100 millions pour des résultats comparables.

Aucune autre entreprise ne reçoit de telles faveurs. Mais les principaux médias grecs sont des soutiens indispensables au régime de la Troïka. Comme les partis de la coalition gouvernementale qui à deux cumulent une dette de 250 millions d’euros.

Après des vagues répétées de licenciements, travaillant pour des entreprises dépendantes des banques et sous l’emprise de leurs propriétaires armateurs ou industriels liés à l’Etat, les journalistes restants subissent en permanence le chantage à l’emploi et s’appliquent une autocensure devenue seconde nature.

La fin du régime de la Troïka en vue
Mais la censure de Tsipras a révolté même ses opposants politiques démocrates. Une grande mobilisation s’est mise en branle sur l’internet et dans la rue pour diffuser l’événement. Des centaines de citoyens se sont amassés devant la salle centrale de la Foire à Thessalonique pour écouter le discours . D’autres l’ont suivi sur l’internet et sur des places publiques où il était projeté.

La tentative de censure a fait fonctionner à plein l’effet Streisand: plusieurs chaines privées qui ne comptaient pas couvrir l’événement l’ont fait pendant que la télévision publique diffusait un show musical en “conserve”. L’impact de la sortie de Tsipras a été ainsi démultipliée.

L’ambiance rappelle beaucoup l’automne 2009 quand le gouvernement de droite de Kostas Karamanlis s’effondra et le Pasok de Georges Papandreou arriva au pouvoir incarnant un certain espoir de changement. Avant la désillusion.

La majorité parlementaire constituée par les députés de la Nouvelle démocratie et du Pasok est en train de se disloquer sous le poids de mesures de destruction sociale qu’elle approuve. Les élections législatives anticipées sont inévitables dans les mois qui suivent à cause de l’incapacité de ce Parlement d’élire un nouveau Président de la République.

Le pouvoir semble prêt à tout pour empêcher la tenue des élections: chantage auprès de députés indécis et même tentatives d’achat de leurs votes ; diversions médiatiques en utilisant des fouilles archéologiques ; flirt dangereux avec l’extrême droite fascisante. Mais l’opposition de Syriza est loin devant la droite dans les sondages et se trouve dans une dynamique de victoire électorale qui semble irréversible.

Le véritable défi pour Tsipras et son parti sera d’abord de bâtir une alliance parlementaire dans le cas où il n’obtient pas la majorité absolue, puis, de réaliser les nombreuses promesses qu’il a annoncé à Thessalonique, dans un pays dévasté: fin immédiate de l’austérité ; renégociation de la dette et même suppression d’une partie conséquente ; remise sur pied des services publics ; création massive d’emplois et lancement d’une véritable politique de développement économique de la Grèce compatible avec l’écologie et la démocratie. Pari difficile.

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