Dans la dernière ligne droite des élections, la Grèce est déjà dans le jour d’après

tsipras-twitter-interview-tops-trends-worldwide.w_lIl reste une semaine avant les élections du 25 janvier est tous les signaux sont au vert pour Syriza. La totalité des sondages à ce jour le donnent vainqueur, seule son avance reste incertaine. L’attention des commentateurs se porte désormais sur l’après élections avec deux questions capitales : Syriza pourra-t-il gouverner seul et si oui saura-t-il mener à bien un programme de transformation sociale ?

L’opinion grecque premier allié de Syriza

Trois sondages sortis dans la presse ce dimanche établissent cette avance dans une fourchette entre 3,1 et 4,6%. Le pourcentage de Syriza pour l’heure se situe entre 30 et 35%, pas très loin de la majorité absolue, et celui de la Nouvelle démocratie de Samaras entre 25 et 30%. C’est vrai qu’il reste encore une part importante d’indécis, entre 10% et 15% du corps électoral, mais la dynamique en faveur de la gauche est claire. Comme l’explique le politologue expérimenté Yannis Mavris, en Grèce l’indicateur le plus significatif quand on se rapproche des élections est la « projection de victoire » c’est à dire la part de l’électorat qui pense que tel ou tel parti a le plus de chances de gagner. Ceci parce que les électeurs indécis ont tendance à choisir à la fin celui qui a, selon eux, les plus de chances de l’emporter. Cet indicateur est désormais massivement favorable à Syriza (tableau ci-dessous, indicateur 5).Why-ND-will-lose-the-elections-768x1024
Selon l’analyse de Mavris il y a au moins quatre facteurs qui favorisent Syriza (tableau ci-dessus). Le premier est l’opinion négative de l’écrasante majorité des citoyens envers le Mémorandum, c’est à dire l’accord avec les créanciers incluant les mesures d’austérité radicale et les « reformes » qui les accompagnent. 67% de Grecs se disent contre ce Mémorandum que Syriza veut abolir. Deuxièmement, la perception de la majorité de la population par rapport à l’évolution de son revenu est négative : 65% de grecs disent qu’ils ont des difficultés à boucler leurs fins de mois. Troisièmement, la peur de la faillite de l’Etat grec, l’une des raisons qui ont soutenu le vote pour les partis de l’establishment en 2012, s’est affaiblie : seul 27% des électeurs croient une telle perspective probable. Enfin, l’écrasante majorité des personnes interrogées considère que la dette de la Grèce est insoutenable et qu’elle doit être renégociée, ce qui constitue la principale promesse de Syriza.

Ralliements inattendus et tournant médiatique

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Tsipras au port du Pirée lors de la fête orthodoxe des lumières le 6 janvier dernier.

Cette dynamique dans l’opinion se traduit par des ralliements inattendus. Ainsi, des « hommes du marché » (analystes, hommes d’affaires etc.) se déclarent de plus en plus favorables à la fin de l’austérité et prêts à voter pour la gauche. Les ralliements venant du centre et même de la droite sont d’autant plus faciles que Tsipras adopte désormais un discours modéré et une attitude consensuelle afin de rassurer le plus grand nombre. Ainsi, il se rend même à des fêtes orthodoxes – lui l’athée revendiqué – ce qui ne manque pas de provoquer des réactions dans son propre camp.

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To Vima titre ‘L’opportunité de la Gauche” dimanche dernier

L’embarras des journalistes des médias dominants est aussi évident : le grand quotidien du centre To Vima, farouchement opposé à Syriza jusqu’à là, a fait sa Une la semaine dernière sur l’ « opportunité historique » que constituerait sa victoire. La chaine Mega, propriété des principaux oligarques et à la pointe du Syriza-bashing depuis des années, vient même de changer l’équipe d’animation de son journal télévisé afin de se donner une image plus objective. Sur les plateaux de télévision les représentants de Syriza sont traités moins mal qu’auparavant. Même si la propagande en faveur du gouvernement continue, le changement est palpable et assez réjouissant à observer.

Samaras en dérive droitière

Même tendance dans les meetings électoraux où Tsipras fait le plein, alors que Samaras peine à mobiliser et utilise un public de partisans vieillissant pour « garnir » les retransmissions télévisuelles de ses discours. Ce dernier continue sa campagne décidément très à droite dont l’objectif semble être le siphonage des voix de l’Aube dorée. S’inspirant des néo-conservateurs, il tape sur la supposée volonté de Syriza de désarmer la police, n’hésite pas à voir des blasphèmes partout et déforme crument les déclarations des candidats de gauche. Samaras n’a pas hésité à instrumentaliser le drame de Charlie Hebdo à des fins électorales. Son parti a même utilisé des images de la manifestation parisienne pour illustrer son message xénophobe et brandir la menace terroriste (voir clip de campagne de la Nouvelle démocratie ci-dessous, sous-titré en français).

Mais cette dérive droitière ne fait que renforcer l’impression que Samaras joue ses dernières cartouches pour sa propre survie politique au lendemain de ces élections qui semblent définitivement perdues pour lui. En effet, son discours ressemble davantage à celui d’une opposition, passant son temps à critiquer les propositions de Syriza, qu’à celui d’un Premier ministre qui exerce le pouvoir depuis deux ans et demi. Son refus catégorique de débattre avec Tsipras est à ce titre édifiant. Ces élections risquent d’être les seules dans l’histoire récente du pays sans débat télévisuel en face à face entre les deux principaux challengers !

Justement, à la lecture des révélations du journaliste Kostas Vaxevanis on peut penser qu’en fait ce n’était pas véritablement Samaras qui gouvernait depuis 2012. Les messages électroniques échangés entre les cadres de la Troïka (FMI, BCE, UE) et le cabinet du Premier ministre qui viennent d’être révélés montrent que Samaras et ses proches collaborateurs déployait l’essentiel de leur énergie et de leur temps à essayer de contourner la représentation nationale pour donner satisfaction aux créanciers. Le ton cynique et obséquieux de ses messages a pu choquer ceux de Grecs qui en ont pris connaissance. Mais ils ne sont pas très nombreux parce que aucune chaine de télévision et aucun quotidien, à l’exception du Journal des rédacteurs clairement à gauche, n’a relayé l’information…

La majorité absolue à portée de main

Si la victoire de Syriza semble acquise, les analystes se concentrent désormais sur les scénarios post-électoraux. Deux questions restent notamment ouvertes. La première est relative à la capacité de Syriza d’obtenir la majorité absolue dans le Parlement ou pas. Cette majorité semble difficile à atteindre et dépendra du degré de polarisation de l’électorat. Si celui-ci est assez élevé plusieurs petits partis risquent de ne pas atteindre le seuil de 3% et échouer à entrer au Parlement. Dans ce cas Syriza pourra dépasser les 150 députés et gouverner seul. La dynamique actuelle va dans ce sens mais le temps est peut être trop court. C’est la raison pour laquelle le discours de Tsipras ces derniers jours vise à convaincre les électeurs à lui confier un « mandat clair ».

Dans le cas où Syriza n’obtient pas la majorité absolue, la suite risque d’être compliquée. Etant donné le refus catégorique du parti communiste (KKE) d’entrer dans un gouvernement de gauche, tous les autres alliés potentiels se situent à la droite de Syriza. Et certains comme To Potami sont extrêmement volatiles et imprévisibles. De ce fait si aucune majorité n’est trouvée ni par Syriza, ni par la droite un second tour d’élections, comme en 2012, n’est pas à exclure.

Un gouvernement de gauche radicale ou une social-démocratie tiède ?

Dans tous les cas, la seconde question (politique) qui reste ouverte est de savoir si l’équipe dirigeante de Syriza pourra ou voudra appliquer son programme qui est effectivement très à gauche. On peut s’atteindre en effet à ce qu’un gouvernement de ou avec Syriza applique les mesures d’urgence annoncées par Tsipras à Thessalonique. Peu ou prou ce programme vise à ramener l’économie grecque à une situation comparable à ce qu’elle était avant l’effondrement commencé en 2010. Mais étant donné les difficultés internes et externes, on peut légitimement douter que Syriza puisse mettre en œuvre une politique de transformation sociale profonde de la Grèce.

D’abord il est sûr que le nouveau gouvernement sera courtisé par l’establishment économique local mais aussi international qui tentera de le manipuler. Ainsi, dans la presse financière internationale se multiplient déjà les articles supposément bien informés qui expliquent que finalement Syriza se montrera raisonnable (traduction : il ne touchera pas aux fondements de l’économie néolibérale qui produit des inégalités sociales extrêmes). Il faudra être très solidement ancré sur ses principes pour résister aux sirènes de ce capitalisme triomphant.

Aussi, pour se débarrasser des travers inscrits au plus profond de la société grecque (népotisme, corruption, favoritisme, désorganisation, difficulté à générer un consensus en vue de l’intérêt général etc.), le nouveau gouvernement devra mobiliser des ressources qui dépassent largement celles de Syriza. Ce dernier saura-t-il les trouver dans les forces vives de la société ?

Syriza devra aussi faire face à ses rigidités internes sur des questions aussi importantes que l’écologie : saura-t-il par exemple se débarrasser des vieux dogmes productivistes qui sont encore présents dans l’esprit de nombre de ses cadres les plus anciens ? Pourra-t-il transcender sa nature bureaucratique et la tentation centralisatrice autour d’un petit noyau de dirigeants amis de Tsipras qui se manifesteront inéluctablement ? Aura-t-il l’assise populaire nécessaire pour résister aux provocations qui ne manqueront pas d’éclater à la première difficulté et éviter ainsi un scénario à la vénézuélienne ?

Beaucoup dépendra des réactions qui viendront de l’échiquier international où, comme l’explique Gabriel Colletis, la partie risque d’être compliquée…pour tous. Si une victoire de Syriza, suivie éventuellement par celle de Podemos en Espagne, déclenche une vague de solidarité à l’échelle de l’Europe les certitudes des dirigeants européens pourront être ébranlées.

La renégociation inévitable de la dette grecque en dépend. Sans la suppression pure et simple d’une partie importante aucune marge de manœuvre n’est possible. Ailleurs, comme en Italie, en France et même en Grande Bretagne les conséquences politiques d’une victoire de Syriza peuvent être importantes. C’est la raison pour laquelle le front grec est capital pour l’Europe entière. Et il a besoin de notre soutien sans faille.

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