Pourquoi le problème grec, révélateur du mal européen, n’est pas prêt à disparaître

B947Z7nIcAEVlJoLa machine médiatique a besoin de récits simplistes qui se terminent mal ou bien mais en tout cas nettement (et de préférence spectaculairement). De cette façon on peut passer à autre chose dans la course perpétuelle de l’information en continu. Le problème avec la Grèce c’est qu’à chaque fois qu’on pense l’histoire terminée, elle resurgit comme une Hydre à cent têtes au point que des éditorialistes respectés de la presse française en soient réellement agacés.

Du coup l’accord survenu in extremis la semaine dernière entre l’Eurogroupe et le gouvernement grec a été accueilli avec soulagement dans les « milieux informés ». Pour Eric Le Boucher, grand défenseur de l’ordre néolibéral et eurocrate historique, la « capitulation grecque » a été « une dure leçon pour les populistes d’extrême gauche comme d’extrême droite » . Au-delà du fait qu’il commence sur une fausse information du Bild, son article constitue un condensé de l’idéologie dominante : il n’y pas d’alternative au néolibéralisme ; l’austérité c’est bien ; le gouvernement allemand est mis en cause injustement ; gauche radicale et extrême droite sont les deux faces de la même pièce populiste.

Bizarrement Le Boucher est rejoint dans sa théorie de la « capitulation grecque » par le NPA pour lequel « la Troïka a donc réussi à faire céder le gouvernement grec » qui a procédé ni plus ni moins à une « trahison de ses engagements » . Bien sûr les représentants de l’extrême gauche ne se réjouissent pas de cet état de fait, au contraire. Mais ils reproduisent le récit selon lequel le dénouement de l’histoire est survenu et il est mauvais pour le peuple grec, même s’ils reconnaissent que « les négociations vont encore durer de longs mois à Bruxelles et rien n’est réglé sur le fond ».

Effectivement, rien n’est encore réglé. C’est la raison pour laquelle il est aussi dérisoire de parler de capitulation que de triomphe, comme ont pu le faire certains défenseurs acharnés du gouvernement grec. L’accord de la semaine dernière n’est en fait qu’un épisode, certes important mais en rien définitif, dans une longue suite qui s’annonce. C’est une bataille mais pas la guerre.

D’abord, pour bien apprécier son résultat, il faut aussi comparer avec ce qu’il se faisait jusqu’à hier. Sous les gouvernements successifs de Papandreou, Papadémos et Samaras, depuis cinq ans, les listes des mesures à implémenter par le gouvernement grec arrivait par email en provenance des employés de la Troïka. Le travail des ministres consistait ensuite à trouver le meilleur moyen de les appliquer sans changer une virgule et de préférence sans passer par un vote au Parlement qui risquait de mettre les députés de la majorité dans l’embarras. C’est de cette façon à la fois antidémocratique et bureaucratique qu’a été imposée la diminution des pensions, la dérèglementation du marché du travail, la fermeture de la télévision publique, le licenciement des fonctionnaires, l’abaissement du salaire minimum etc.

Par conséquent on peut penser raisonnablement que le seul fait pour les Grecs de batailler pied à pied contre Wolfgang Schäuble, surpuissant ministre des finances allemand et représentant emblématique du capitalisme européen, pour exiger l’arrêt de la politique catastrophique de ces dernières années est un progrès majeur. Ceci d’autant plus que comme l’écrit justement Pierre Khalfa pendant cette bataille « le soutien politique à Syriza n’a pas été à la hauteur et la Grèce est restée dramatiquement seule ».

Comme on le sait maintenant les pressions politiques auxquelles ont du faire face les représentants grecs lors du dernier Eurogroupe ont été doublées par un chantage pur et simple dont les protagonistes ont été encore une fois les banquiers. Ainsi, Mario Draghi a déclaré que si un accord n’était pas trouvé dans l’Eurogroupe de vendredi, et après la fuite de 40 milliards d’euros du pays ces derniers jours, la Grèce serait dans l’obligation d’imposer un contrôle des capitaux en début de semaine, premier pas vers sa sortie de l’Euro. Or, comme le rappelle Pierre Khalfa, Syriza a gagné les élections sur une double promesse : celle de la fin de l’austérité ET du maintien dans la zone Euro.

D’où l’ambiguïté constitutive de sa victoire, que j’ai commenté ici, l’empêchant pour l’instant d’inclure sérieusement la sortie de l’Euro dans ses options. Selon l’évolution de l’affaire cette option peut s’imposer aux dirigeants mais aussi et surtout à l’opinion grecque qui se déclare majoritairement opposée pour l’instant. Il n’est pas ainsi anodin que dans le mot d’ordre du prochain appel à manifester sur la place Syntagma d’Athènes le 26 février il y a la phrase « nous n’avons pas peur de Grexit ».

Depuis un mois maintenant que ces manifestations s’enchainent c’est la première fois que cette éventualité est explicitement revendiquée par le mouvement populaire. Outre une divergence criante entre ce dernier et le gouvernement, c’est peut être là le signe d’un tournant pour l’opinion. Mais est-ce que cette opinion est prête à supporter un renchérissement de 30% à 50% de tous les produits importés en cas de sortie de l’Euro ? C’est une question ouverte.

Pour une appréciation détaillée des concessions du gouvernement grec mais aussi des points positifs de l’accord je renvoie le lecteur aux analyses pertinentes de Jacques Sapir, Romaric Godin et Pierre Khalfa. En revanche ce qui me paraît important de souligner aujourd’hui c’est que la rhétorique de la « capitulation » ne peut avoir qu’un effet démobilisateur qui sape les efforts des Grecs et hypothèque le nécessaire mouvement de solidarité international.

Le problème grec ressurgira très vite et ne cessera d’incarner le symptôme le plus violent du mal européen. Il est par exemple intéressant d’observer qu’au moment où les Grecs tentent de mettre fin à la dérèglementation du marché de travail, le gouvernement des socialistes français a recours à l’article 49.3 pour faire passer une loi dans ce sens. Le mouvement politique tectonique déclenché en Europe par la crise n’est pas prêt de s’arrêter quelque soit le destin de la Grèce tant que le postulat néolibéral n’est pas remis en cause. En revanche il n’est pas certain que cette mise en cause se fera par des forces politiques progressistes et démocratiques. C’est là où réside peut être le cœur de l’enjeu.

One thought on “Pourquoi le problème grec, révélateur du mal européen, n’est pas prêt à disparaître

  1. Cher Niko,

    Nous aurons une idée plus précise du degré de radicalité auquel le gouvernement grec est prêt ce lundi 23 février avec la liste établie par lui des réformes qu’il veut engager dans les quatre mois.
    Deux marqueurs seront essentiels :
    – Va-t-il ou non confirmer son engagement à augmenter le salaire minimum, rétablir les conventions collectives, mettre en œuvre les réformes sociales votées par le Parlement grec le 19 février… la veille de l’accord avec l’eurogroupe ?
    – Va-t-il ou non confirmer l’arrêt de toute privatisation ultérieure ?

    Il y a tout lieu de penser que le gouvernement n’évoquera pas ces deux marqueurs, se limitant à rappeler les concessions qu’il a acceptées, dont certaines coïncident avec son programme (modernisation de l’Etat, réforme fiscale, lutte contre la corruption, cadastre, etc.).

    Il y a tout lieu de penser que les créanciers les plus durs, parce qu’ils visent une mise au pas de tous les peuples, refuseront les propositions grecques.

    La boîte de Pandore s’ouvrira alors…

    Pour le reste, je pense qu’un certain nombre d’erreurs ont été commises, dont nous pourrons parler :

    – Une impréparation certaine de Syriza à la veille des élections (dont la tenue a été précipitée par le précédent gouvernement)

    – Un centrage trop fort du processus décisionnel autour du ministre des finances
    – Le choix de retenir la banque conseil Lazard qui avait conseillé la précédente équipe gouvernementale lors de la restructuration de la dette de 2012

    – L’appel insuffisant fait aux ressources de la démocratie : les dizaines ou les centaines de personnes de haut niveau de compétence dans toutes les disciplines (juristes, économistes, fiscalistes, spécialiste en com, etc.) prêtes à se mobiliser pour proposer des solutions concrètes et « médiatiques »

    – L’acceptation par le gouvernement d’une urgence financière supposée, de négociations qui seraient « impérieuses » :

    ⇨ Le gouvernement grec, avec un (léger) excédent budgétaire peut payer ses fonctionnaires.
    ⇨ La crise de liquidités bancaires peut ou aurait pu être stoppée avec des mesures raisonnables d’encadrement des retraits et des transferts. Si nécessaire, la nationalisation des banques aurait dû être envisagée. L’arrêt d’un des canaux de financement des banques grecques par la BCE était, comme expliqué dans notre texte, une décision maximaliste, ne remettant pas en question le canal principal (ELA) qui, s’il avait été arrêté lui aussi, aurait posé un problème autrement plus grave pour la Grèce comme pour l’ensemble de la zone Euro

    – La sous-estimation du potentiel de négociation lié à la radicalité du programme de Syrira dès lors que ou plutôt si et seulement si celui-ci s’appuyait sur :

    ⇨ La nécessité réaffirmée d’annuler entre le tiers et les deux tiers de la dette grecque
    ⇨ Celle de ne pas payer les intérêts pendant deux années. Moratoire accompagnée d’une annulation de ces mêmes intérêts au prorata de la partie de la dette annulée. Cette double annulation partielle (principal et intérêts) aurait dû être recherchée autant que possible avec les créanciers (publics) de la Grèce. Faute d’accord (sous la menace, côté grec, d’une annulation totale), la mesure aurait dû être prise de manière unilatérale.
    A l’évidence, nous sommes très loin d’un tel cadre aujourd’hui.

    ⇨ Le programme d’urgence humanitaire et le programme de développement de l’économie qui restent le point focal de tout le projet…devant cependant être financés…d’où la nécessité du double allégement des intérêts et du principal de la dette (voir supra) indispensables pour financer le projet sur une base la plus autonome possible.

    Ce qui m’inquiète est moins l’intransigeance affichée par l’Allemagne que tout ce qui précède.
    Mais cette intransigeance pourrait finir par pousser de manière heureuse le gouvernement grec vers nettement plus de radicalité comme, dans le passé, cela s’est produit à Cuba avec l’intransigeance américaine… Mais la Grèce n’est pas Cuba, Tsipras n’est pas Castro et nous sommes en 2015.

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