Et pourtant, la Grèce n’a pas disparu…(compte rendu d'un été court)

Une version plus courte de cet article a été écrite pour la revue syndicale École Émancipée

Après le paroxysme médiatique des mois précédents, la Grèce a désormais quasiment disparu des médias français. Les seules rares mentions proviennent des agences de presse qui font des comptes rendus froids et cliniques de l’état des finances du pays et des négociations avec ses créanciers.

Plusieurs raisons expliquent cela. D’abord la fatigue du grand public et la lassitude des journalistes face à une situation sociale et économique qui ne finit pas de se déliter. Mais aussi la volonté d’une partie des médias dominants de ne pas rappeler l’exemple grec à l’heure où les socialistes français peinent à définir une politique de gauche digne de ce nom.

Car en Grèce le PASOK partage toujours le pouvoir. Et Papandreou, l’architecte de la phase finale du drame grec, vient d’être réélu à la tête de l’Internationale socialiste dont le PS français est membre.

Or l’état actuel du « patient grec » est très instructif. Il nous renvoie des images d’un futur européen effroyable et pourtant envisageable.

Les résultats des législatives de juin

Après une campagne électorale qui a fait l’objet d’une propagande médiatique sans précèdent – et d’un chantage cynique sur le sortie de la Grèce de la zone euro – les élections de juin dernier ont été gagnées, de justesse, par la droite.

L’analyse des résultats électoraux montre un pays profondément divisé : d’un côté les personnes âgées de plus des soixante ans et les habitants des régions rurales qui ont voté pour les partis de pouvoir traditionnels ; de l’autre, les jeunes, les actifs et les urbains qui ont plébiscité massivement la gauche radicale de SYRIZA.

Ces élections ont amené au pouvoir une nouvelle coalition hétéroclite composée de la Nouvelle démocratie, l’indispensable PASOK et un nouveau parti « réformiste » au nom tautologique, la Gauche démocratique. La formation de cette coalition a fini par faire éclater les clivages qui ont dominé la vie politique grecque depuis la chute du régime des colonels en 1974.

En son sein se retrouvent des bords anciennement opposés : la droite populiste et conservatrice, les sociaux-démocrates néolibéraux et les transfuges repentis de l’eurocommunisme. La raison évoquée pour justifier ce mariage de la carpe et du lapin est l’union nationale nécessaire pour mener une renégociation du Mémorandum d’austérité imposé par la Troïka (FMI, BCE, UE).

Le mea culpa de Samaras

 Mais en fait de renégociation il n’en est rien. Très vite même les maigres espoirs pour un léger fléchissement des dictats des créanciers se sont envolés. Le nouveau Premier ministre Antonis Samaras, opposant virulent de l’austérité jusqu’aux élections, a fait son mea culpa auprès d’Angela Merkel et de François Hollande dans son récent voyage en Europe en utilisant une formule de Sénèque l’Ancien: Nemo sine vitio est (nul n’est infaillible).

Cette belle parole s’est traduite très vite en mesures concrètes pour les Grecs. Pour verser la tranche suivante du prêt dit de « sauvetage », les créanciers exigent la mise en place d’un énième plan d’économies drastique à hauteur de 11,7 milliards d’euros. Ceci dans un pays qui se trouve dans sa cinquième année de récession et dans lequel une personne active sur quatre est au chômage.

Le programme suicidaire du nouveau gouvernement

Ces économies proviendront des coupes supplémentaires dans les salaires des fonctionnaires, des baisses des retraites, de la suppression du peu d’aides sociales qui restent et de la diminution des prestations de la Sécurité sociale. L’Éducation nationale et l’Université paieront aussi un lourd tribut, en plus des diminutions des salaires des enseignants déjà réalisées ou programmées.

Tout ça pour que la Grèce reçoive enfin en octobre un prêt de 31,3 milliards d’euros dont la grande majorité ira au remboursement des prêts antérieurs. L’absurdité de cette situation a été illustrée encore le 20 août dernier. Ce jour-là le gouvernement grec a remboursé en totalité une obligation achetée par la BCE en 2010 au 70% de sa valeur. Celle-ci a réalisé au passage un profit de 900 millions. Pour rembourser cette dette, l’État grec a du emprunté de nouveau auprès des banques…

Privatisations, cessions massives des domaines publics et créations des « zones économiques spéciales », où les investisseurs étrangers seront exempts de tout impôt, sont aussi au programme du nouveau gouvernement. Afin de restaurer la « compétitivité » du pays, la Troïka exige même la fin du temps de travail règlementé et la diminution des indemnités de licenciement. Ceci après la suppression des conventions collectives qui est désormais effective.

Aujourd’hui le système de santé en Grèce est au bord de l’implosion. Les dettes de la caisse d’assurance maladie unifiée envers les pharmaciens et les fournisseurs de matériel médical créent des pénuries dans les hôpitaux. Désormais tous les médicaments doivent être payés en liquide par les patients, y compris par les malades du cancer et ceci indépendamment de leur revenu.

Le versement mensuel des retraites est aussi sur le fil du rasoir. La restructuration de la dette publique (haircut) de mars 2012 a plombé les finances des fonds de pension publics qui détiennent des obligations de l’État. Leurs pertes s’élèvent désormais à 14 milliards d’euros ce qui met leur existence même en péril.

Alors que les pertes des banques causées par cette restructuration ont été compensées par la recapitalisation décidée par la BCE, rien n’a été prévu pour les fonds de pension et autres acteurs publics.

L’ascension des néonazis

Dans ce climat délétère, les néonazis de l’organisation criminelle Aube dorée ont désigné les boucs émissaires : les immigrés, de préférence musulmans et de couleur. La propagande fasciste profite également de la politique de l’État.

Le nouveau gouvernement a lancé un grand projet de construction des camps d’enfermement militarisés dans tout le pays. La police procède depuis maintenant plusieurs semaines à des arrestations massives d’étrangers, massés dans les rues d’Athènes et souvent brutalisés.

Mais au lieu de rassurer la population, cette politique officielle qui désigne les immigrés comme des criminels en puissance ne fait que renforcer les réflexes racistes et xénophobes. Aujourd’hui en Grèce l’extrême droite fascisante n’est plus marginale. Elle est en passe d’imposer son hégémonie culturelle et politique.

Cette hégémonie s’exprime dans les sondages où l’Aube dorée figure désormais en troisième place des attentions de vote, derrière SYRIZA et la droite. Mais aussi dans sa capacité à définir l’agenda politique, suivie aveuglement par des médias médusés.

L’hégémonie en devenir des néonazis est également perceptible dans le recrutement croissant des militants, souvent très jeunes ; dans sa présence quasi-militaire dans tous les événement publics où elle récolte parfois l’approbation des quidams ; dans la banalisation du discours haineux dont elle est porteuse ; dans la violence qui se déchaine contre les immigrés quotidiennement.

En face la résistance s’organise mais elle demeure faible dans un contexte qui se caractérise par la résignation et le désespoir. De ce point de vue la mobilisation de cet automne contre les nouvelles mesures anti-sociales sera décisive pour la suite.

Les premières manifestations ont déjà eu lieu dans le nord du pays, à Thessalonique d’abord à l’occasion de la Foire internationale. Puis au village de Skouries à Chalkidiki contre la destruction de la forêt provoquée par l’exploitation minière.

Au niveau politique, d’une coalition disparate d’organisations marginales, SYRIZA tente de se muer en parti de masse capable de proposer une alternative crédible. Mais le chemin est douloureux et nul ne peut prédire s’il sera couronné de succès.

Car aux confins de l’Europe l’éventualité du totalitarisme et de l’anéantissement social n’est plus à exclure. Dans le film dystopique Die kommenden Tage (Les jours à venir) suite à l’éclatement de l’Union europeene et des guerres d’energie à répétition la Frontex garde les frontières militarisés de l’Europe dans les Alpes du sud. Face à elle le chaos et des populations d’immigrés déplacés par les conflits armés et les crises humanitaires.

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