Grèce : le discours de politique générale de Tsipras et la négociation à venir

Teenagers hands playing tug-of-war with used ropeDans le discours de politique générale qu’il a prononcé au Parlement, le Premier ministre grec Alexis Tsipras n’a pas varié de sa ligne. Il est apparu décidé d’appliquer ses promesses électorales et bien préparé à affronter les négociation très dures qui l’attendent en Europe.

Il a insisté sur la nécessité de répondre à la crise humanitaire qui sévit en Grèce avec des mesures d’urgence en mettant fin immédiatement aux politiques austéritaires. Il a également promis un grand effort de modernisation de l’administration, la mise en place d’un système d’imposition juste et le redémarrage de l’économie.

Mise en ouvre du programme de Thessalonique

Dans ce discours sans doute historique, Tsipras a ainsi annoncé la mise en œuvre rapide des mesures sociales phares de son programme de Thessalonique (13ème mois pour les retraites de moins de 700 euros, du courant électrique gratuit pour ceux qui n’ont pas les moyens de payer leurs factures, une couverture maladie pour tous, la réintégration des fonctionnaires illégalement licenciés, des transports publics gratuits pour les chômeurs, des allocations de loyer).

Il a insisté particulièrement sur la modernisation de l’Etat, la rationalisation des dépenses publiques et la fin de certains privilèges gouvernementaux (regroupement d’organismes publics, diminution de moitié des véhicules des ministères, vente d’un des trois avions du gouvernement, fin de la mise à disposition des véhicules aux députés, diminution de 30% du personnel des services du premier ministre, mise en place d’un nouveau système d’évaluation pour les fonctionnaires, simplification de procédures administratives, interconnexion informatique de tous les services de l’Etat, refonte de la carte et des compétences des collectivités territoriales).

Autre grand chantier le relèvement des recettes publiques via la réévaluation de tous les contrats de l’Etat avec des prestataires, la lutte contre l’évasion fiscale et la mise en place d’un système d’imposition progressif et d’un seuil d’imposition uniquement à partir de 12.000 euros annuels.

Sur le front de la transparence et de la lutte contre la corruption Tsipras a annoncé la fin de l’immunité pour les hauts fonctionnaires, une commission parlementaire d’investigation sur les responsabilités des gouvernements précédents, la reforme des médias avec la réhabilitation de la radiotélévision publique ERT, le contrôle de la légalité des dettes contractés par des médias privés et l’exigence du paiement des concessions hertziennes.

Signe que la participation des Grecs indépendants au gouvernement n’a pas fait fléchir la ligne de Syriza, Tsipras a annoncé qu’il accordera la nationalité aux enfants d’immigrés nés en Grèce. Il a aussi promis la création d’une banque publique d’investissement et le contrôle plus stricte des banques privées. Un effort national important sera consacré à l’université et à la recherche afin de tenter de faire revenir les milliers des jeunes scientifiques partis de la Grèce depuis cinq ans.

Le premier ministre a confirmé le refus de son gouvernement d’augmenter l’âge légal de départ à la retraite et de diminuer les retraites, comme l’avait promis le gouvernement précédent. Il a aussi annoncé le financement de la sécurité sociale et des retraites par un fond spécial qui gérera les propriétés de l’Etat et les ressources minières et pétrolières.

Sur le front social, la fin de la déréglementation du marché du travail et la restauration des conventions collectives sera accompagnée par des mesures de protection contre les licenciements groupés. Tsipras a annoncé aussi le relèvement du SMIC à 751 euros mensuels graduellement d’ici 2016 et non pas immédiatement comme il l’avait laissé entendre pendant la campagne. Il s’agit d’un gage donné aux créanciers en vue de la négociation de l’Eurogroupe de ce mercredi.

Les propositions sur la table

En effet la proposition grecque consiste à raisonner en deux temps. Une période de transition d’ici juin, pendant laquelle la Grèce pourra compter sur un financement exceptionnel pour mettre au point un projet complet, puis une période longue de 3,5 ans pour sa mise en œuvre. Pour ce faire la Grèce propose à ses partenaires les conditions suivantes :
– pendant la période transitoire les deux parties ne procèderont pas à des actions unilatérales (p.e. arrêter d’assurer les liquidités des banques grecques de la part de la BCE ou arrêter de payer ses obligations pour la Grèce).
– le financement de la période de transition jusqu’en juin ne pèsera pas sur les contribuables européens mais sera basé sur le remboursement des profits effectués par les  banques centrales de la zone euro sur la dette grecque (1,9 milliard d’euros) et l’extension de la capacité d’endettement du gouvernement grec fixée par ses créanciers à 15 milliards d’euros en 2015.
– après la période de transition le gouvernement s’engage à respecter un budget à l’équilibre mais sans la supervision extérieure de la Troïka (et non pas excédentaire comme le prévoyait le Mémorandum).
– l’une des priorités du gouvernement sera la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale.

De l’autre côté Jean-Claude Jucker joue les médiateurs. Selon des fuites de la presse grecque sa proposition est loin de celle de Syriza mais plus près que la position allemande. Jucker propose :
– la prolongation du programme actuel de refinancement de la dette grecque qui se termine en principe le 28 février pour quatre mois, sans l’imposition des nouvelles mesures (« reformes »). Mais pour qu’il y ait cette prolongation il faut que la Grèce en fasse la demande, ce que le gouvernement de Syriza refuse pour l’instant déclarant sur tous les tons que la « Troïka est morte ».
– cette prolongation impliquera tout de même la mise en oeuvre de la plupart des « reformes » actées par le précèdent gouvernement, à l’exception de certaines qui seraient reportées pour après juin. Bien entendu ceci est le point le plus sensible pour Syriza qui refuse de se faire imposé sa politique intérieure.
– la supervision du respect des engagements de la part de la Grèce au niveau budgétaire mais aussi des reformes par un comité plus politique que la Troïka qui serait légitimé notamment par la présence de membres du Parlement européen ou/et de la Commission et du FMI. C’est aussi le sens de la proposition de Martin Schulz.

Pour l’instant la distance qui sépare les deux positions est grande, et elle l’est encore plus entre celle de la Grèce et l’Allemagne. Mais le diffèrent et les enjeux de deux côtés sont plus clairs, ce qui prépare le terrain pour la possibilité d’un accord. Ceci dépendra des concessions que les deux parties seront prêtes à faire. La confrontation sans issue et l’échec sont également tout à fait possibles, voir probables selon Stathis Kouvelakis.

C’est dans le cadre de ce rapport de force que Tsipras a annoncé que son gouvernement allait entreprendre les démarches pour réclamer à l’Allemagne des réparations non réglées de la 2ème guerre mondiale. Un argument de plus dans la dure négociation à venir.

En revanche, la voix tremblante et les yeux humides d’une émotion sincère, Tsipras a assuré qu’il ne mettra pas sur la table de cette négociation la dignité et l’histoire de son pays et de son peuple.

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