Grèce : un accident ferroviaire coagule les colères de la jeunesse

L’accident ferroviaire survenu le 1er mars près de la ville de Larissa faisant plus d’une cinquantaine de morts, dont des nombreux étudiants rentrant d’un long weekend, a vu exploser la colère de la jeunesse grecque. Des nombreuses manifestations réunissant des milliers de personnes, principalement des étudiants et des lycéens, ont eu lieu dans les plus grandes villes de la Grèce notamment à Athènes, Patras, Volos et Thessalonique.

Cet accident dramatique est le résultat d’une série de négligences en cascade qui résulte directement de la destruction du service public du rail depuis une dizaine d’années. Il a constitué le catalyseur d’une colère sourde qui domine au sein de cette génération sacrifiée qui a vécu dans un pays ravagé par la crise et par la cure austéritaire imposée par les créanciers.

Le programme économique contenu dans les memoranda successifs imposés par la Troïka prévoyait notamment le démantèlement du service public du rail et la privatisation de la partie la plus rentable, à savoir le transport de passagers. L’entretien des installations a été laissé pour compte. Des centaines des cheminots ont été transférés à d’autres services de l’administration ou ont été mis en préretraite de manière à rendre le lot plus attractif pour l’acheteur Trenitalia. La même logique de vente à la découpe a prévalu pour d’autres services publics comme l’opérateur public d’électricité ou les télécoms.

Par ailleurs, des reformes radicalement néolibérales ont été imposées à marche forcée à l’école, à l’université et à l’hôpital. Cette dégradation sévère du service public a eu comme effet l’un des taux de mortalité le plus élevé en Europe pendant la crise du Covid et une baisse drastique de la qualité de l’enseignement scolaire et universitaire. La dérégulation complète du marché du travail a fini par achever les derniers vestiges de l’état social grec.

Après la parenthèse de Syriza, qui a tenté de gérer cette situation tant bien que mal mais qui a participé à la continuation de ces politiques, la dérégulation néolibérale destructrice de la société grecque s’est accélérée à partir de l’arrivée au pouvoir en 2019 du gouvernement de droite dirigée par Kyriakos Mitsotakis. Ce dernier a mis en œuvre une politique de néolibéralisme autoritaire radical et corrompu, facilitée par l’état d’exception imposé pendant la crise de Covid et tolérée par ses partenaires européens.

La jeunesse notamment s’est trouvée confrontée à la violence arbitraire de la police, à une crise de logement sans précédent, à des conditions de travail précaires et au manque de perspectives pour l’avenir. C’est ainsi que depuis une dizaine d’années les jeunes grecs ont quitté massivement leur pays à la recherche d’une vie digne. Ceux qui restent sont temoins d’un processus de délitement de la société grecque qui semble irréversible sous Mitsotakis.

Du scandale de la surveillance massive organisée par le gouvernement aux multiples cas de corruption et de trafic d’influence caractérises ; des violences sexuelles et des crimes mafieux impliquant des membres de la police et couverts par le pouvoir et par la justice ; de la propagande organisée par les médias dominants aux tentatives de censure de la presse indépendants, l’accumulation des affaires désespère la population et étouffe la jeunesse.

Cependant ces derniers mois un mouvement de résistance tente de s’organiser englobant les secteurs les plus dynamiques de la société grecque. Ainsi, les étudiants se sont levés il y a quelques mois contre l’instauration d’une police de l’université et ont réussi à faire reculer le gouvernement. Les artistes sont actuellement en pleine protestation contre une réforme qui reviendrait sur la reconnaissance de leur formation. Ce mouvement très dynamique qui occupe des dizaines d’espaces culturels à Athènes et Thessalonique est actuellement en train de fusionner avec celui qui exige des explications pour le drame ferroviaire.

Cette coagulation des colères repolitise une société devenue cynique et résignée après l’échec du mouvement des Indignés des années 2011-2013. La question du débouché politique se pose maintenant, à quelques mois des élections législatives.

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