« La France n’est pas la Grèce, mais… » : ce que nous apprend la crise grecque sur la séquence actuelle

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Depuis des mois j’assiste en France à une actualité qui me procure une forte sensation de déjà-vu. Ayant suivi de près la descente aux enfers de mon pays d’origine, la Grèce, je ne peux que constater les similitudes de plus en plus fortes avec la situation française. Mais que peut on apprendre sur la séquence actuelle ?

La métaphore du « cobaye »

Certes, dès le début de la crise grecque de nombreux observateurs, moi compris, avaient prévenu qu’il s’agissait là d’un « ballon d’essai ». La Grèce était le « cobaye » sur lequel on infligeait les souffrances de l’extreme austérité destinées à terme à d’autres pays européens. Mais il s’agissait la plupart du temps d’une façon de parler, d’une figure rhétorique et métaphorique dont l’objectif était d’attiser le réflexe de solidarité avec la Grèce et de prévenir une évolution similaire quoi que relativement improbable ici.

Parmi ceux qui ont usé de la métaphore grecque pour parler de la France peu y croyaient réellement. Après tout la France, contrairement à la Grèce, est un grand pays européen, avec des institutions qui fonctionnent, un Etat qui malgré tout assure ses missions, un système politique davantage résilient, une économie d’un poids incomparable. Et puis l’histoire de deux pays est bien différente : pas de guerre civile, ni dictature militaire et tradition de népotisme en France comme celles qui ont marqué l’histoire récente de la Grèce.

France et Grèce, des histoires parallèles

Pourtant, malgré ces différences réelles, un examen de l’histoire politique récente de deux pays (mais aussi celle de l’Espagne et du Portugal) montre que les similitudes sont plus importantes que ce que l’on croit : arrivée enthousiaste des socialistes au pouvoir en 1981et mise en œuvre d’un programme de gauche dans un premier temps ; tournant « réaliste » au milieu des années 80, puis déroute affairiste ; arrivée au pouvoir d’une droite dure au début des année 90 qui échoue ; retour des socialistes qui appliquent tous les dictas néolibéraux dans le cadre de l’euro jusqu’au début des années 2000 ; retour de la droite ; crise financière de 2008, puis crise économique…

A partir de ce moment-là on a l’impression que si la Grèce a un temps d’avance, le chemin parcouru est parallèle. En 2009, les Grecs élisent George Papandréou sur un programme de relance publique. Mais très vite ils déchantent. La crise de la dette précipite la succession des mesures d’austérité extreme, sous la pression des créanciers et de l’UE. Les Français élisent François Hollande et une majorité socialiste en 2012. Ayant assisté pendant deux ans à la déroute grecque, mais aussi espagnole, portugaise et irlandaise, ils espèrent éviter le même sort en confiant le pouvoir à un « ennemi de la finance » déclaré.

Hollandréou

Pourtant très vite on se rend compte que Hollande s’inscrit dans la grande tradition socialiste de ces 30 dernières années : il met en œuvre les mesures de l’orthodoxie néolibérale que la droite s’avère souvent incapable à faire aboutir (à l’exception peut être du quinquennat de Sarkozy).

Sans être contraint par une crise de dette de la même envergure que celle de la Grèce, disposant d’un poids politique largement supérieur dans l’arène européenne, le gouvernement français applique pourtant la même recette, en version « light »: dégradation des services publics et « coupes horizontales » à tout va (hôpital, université, collectivités) ; cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et aux détenteurs de capital ; scandales à répétition des proches du pouvoir, teintés de mépris de classe ; incapacité à contrer la montée en puissance d’une droite extreme qui gangrène les classes moyennes et populaires.

Le tournant de la Loi travail

Mais là où la situation grecque et française commencent à se ressembler dangereusement c’est à partir de la séquence de la Loi travail. Ce projet, comme la loi Macron avant lui, comporte des mesures à tout point identiques à celles qui ont été imposées à la Grèce par ses créanciers.

Le grand mouvement social que déclenche cette loi ressemble beaucoup aux mobilisations qui ont secoué la Grèce en 2010 et 2011 pendant les années de pouvoir du Pasok de George Papandréou avec ces deux composantes, syndicale et indignée. De manière identique, l’obstination du pouvoir et la répression de plus en plus violente du mouvement social polarise la société et durcit la confrontation politique.

D’un côté les manifestants et la gauche se radicalisent en élargissant le spectre de leur critique, au-delà de la Loi travail, à l’emprise du système de pouvoir politico-médiatique et économique sur le destin collectif de la société. De l’autre côté l’appareil sécuritaire dérape et, dans le même temps, les forces réactionnaires qui défendent « l’ordre républicain » se raidissent, qui plus est sous la menace terroriste.

Au milieu un gouvernement qui semble avoir perdu tout repère, sans stratégie politique réelle ni horizon si ce n’est l’avenir du chef en vue des prochaines échéances. Sans majorité parlementaire il fait appel à des procédés anti-démocratiques pour imposer des mesures impopulaires. Ce spectacle infligeant décredibilise le système politique à bout de souffle. La propagande grossière, la violence policière impunie, la justice à deux vitesse, le décalage béant entre élites et peuple, toutes ces évidences sautent aux yeux sonnent le glas d’une ère.

A quoi s’attendre

Ces lignes s’appliquent autant à la Grèce de hier qu’à la France d’aujourd’hui. Dans l’hypothèse où ce parallèle perdure à quoi peut on s’attendre ? L’enjeu principal de la séquence à venir est le dépassement du Parti socialiste et l’émergence d’une force politique et sociale à gauche qui réinvestisse sa mission historique, à savoir changer la société au bénéfice du monde du travail. En Grèce la réponse à cette question a été l’arrivée de Syriza au pouvoir, avec les résultats que l’on connaît.

Mais avant cela la Grèce a vécu une période de gouvernement d’une droite complètement déchaînée. Entre 2012 et 2015 s’est déroulée la période la plus sombre de son histoire récente, après la junte, avec la succession du gouvernement d’ « union nationale » du banquier Papadémos, puis celui d’Antonis Samaras. Une dérive qui a été documentée amplement. C’est à partir de ce moment que les « partis de gouvernement » n’hésiteront plus à s’allier aux éléments les plus réactionnaires de l’Etat et du capital grec, y compris en forgeant une entente avec les fascistes d’Aube dorée, afin de contrer la contestation.

Allons-nous vivre une séquence similaire en France ? Il est fort probable que les prochaines échéances électorales accouchent d’une telle configuration étant donné la dynamique actuelle. Et il faut s’y préparer. Le long processus de convergence des forces de la gauche est déjà en cours dans les faits, indépendamment d’appareils politiques et de leaders. Les colères s’expriment, les réseaux se nouent, les solidarités se forment. En Espagne le processus est déjà plus avancé.

Mais en France le temps manque avant les échéances de 2017 pour que cette prise de conscience collective et surtout pour le travail politique nécessaire à l’émergence d’une alternative qui peut prétendre à la prise le pouvoir. Le camp d’en face se prépare et ses armes sont nombreux et affutés. La barre est placée très haut après l’échec retentissant de Syriza. La nécessité historique est une force implacable mais il faut travailler pour la réaliser.

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